Exercice illégal de l’activité d’Expert-comptable : jugement du Tribunal judiciaire de COLMAR en date du 3 novembre 2022
Dans le cadre de cette affaire, Madame X, représentée par le cabinet, était poursuivie sous les qualifications d’escroquerie, exercice illégal de l’activité d’expert-comptable, abus de biens sociaux et travail dissimulé.
Elle exerçait depuis plus de 20 ans.
Ses clients avaient toujours été satisfaits du travail rendu. Sur 33 anciens clients, seuls 5 se sont constitués parties civiles.
Les clients constitués demandaient le remboursement des honoraires versés depuis l’origine de leur relation, le montant global s’élevant à près de 100.000 €
Lors de la plaidoirie, concernant l’infraction d’exercice illégal de l’activité d’expert-comptable, il a été notamment mis en avant les différentes contestations du monopole de l’activité d’expert-comptable, tant au niveau national qu'européen, ainsi que, sur le plan civil, l'absence de préjudice subi par les clients.
Faut-il remettre en cause le monopole des experts comptables ?
Le monopole de l’activité d’expert-comptable résulte de l’article 20 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts comptables et règlementant le titre et la profession d’expert-comptable.
Ce monopole est contesté au niveau européen. C’est ainsi que la commission européenne écrivait dans son rapport de 2017 sur les professions réglementées « tous les états membres qui réglementent les professions de ce secteur devraient reconsidérer l’obligation de réserver des tâches simples, telles que les activités liées aux salaires ou la préparation des déclarations fiscales, à des professionnels hautement qualifiés ».
En Europe il existe 9 états où la profession n’est pas du tout règlementée : Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Slovénie. Pour les pays exigeants une formation la durée dotale de la formation va de trois ans (Grèce, République Tchèque), à huit ans (France, Roumanie).
Cette différence de traitement est difficile à concilier avec le principe de libre prestation de services, et crée des inégalités entre citoyens de l’union européenne.
Cette différence de traitement s’explique par un constat : pour les petites et moyennes entreprises, l’intervention d’un expert-comptable ayant fait huit ans d’étude n’est pas nécessaire.
Cette position est de plus en plus reprise au niveau national.
Ainsi l’IGS (inspection générale des finances) écrivait, sans son rapport de 2014 sur les professions règlementés, tome 2, page 220 :
« Au sein des métiers du chiffre, comme précisé supra, les experts comptables bénéficient d’une formation similaire à celle des commissaires aux comptes, à l’exception de la formation continue qui leur est propre. Cependant, au quotidien, leurs tâches sont différentes : l’Expert-comptable va participer à l’écriture des comptes tandis que le commissaire aux comptes vérifie et audite leur sincérité. Dans la hiérarchie des tâches, une complexification entre écriture et vérification est bien présente. Il n’est donc pas nécessairement logique d’exiger le même niveau de qualification pour les deux professions.
De plus le métier de l’expert-comptable est composé de deux tâches principales :
- La tenue des comptes
- Le conseil stratégiques, organisationnel et de gestion
Or, seule une entreprise d’expertise comptable peut tenir les comptes d’une entreprise, alors que dans la pratique, les personnes qui tiennent les comptes, au sein des structures d’exercice, peuvent ne pas détenir elles-mêmes le diplôme d’expertise-comptable. Le niveau de diplôme exigé pour la tenue des comptes peut paraître disproportionné ».
Les instances représentatives de la profession ont elle-même écrit contre le monopole.
C’est ainsi que le syndicat ECF écrivait, dans sa revue nationale ECF ouverture n°110 d’Octobre 2020 page 45 un article précisant « Nous proposons de passer du paradigme où les représentants de la profession se battent pour préserver le monopole, à celui où le combat prioritaire est d’obtenir sa suppression ».
Il apparaît ainsi contestable de poursuivre aujourd’hui des personnes pour exercice illégal de l’activité d’expert-comptable alors même que le monopole a vocation, dans les dix prochaines années, à disparaître.
Les parties civiles peuvent-elles obtenir le remboursement des honoraires versés ?
Les clients de la personne exerçant illégalement la profession d’expert-comptable ont bénéficié d'un service en échange du paiement des honoraires.
Dans le cadre du dossier plaidé par la SCP DESBOS BAROU ce service était irréprochable, la personne ayant tout à fait les qualités professionnelles pour le faire.
Dans des circonstances similaires la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 mai 2019, n°17-87.259, a eu à juger que :
« Attendu que pour confirmer le jugement et rejeter la demande afférente au remboursement des salaires, l’arrêt attaqué énonce que les traitements, dont il est réclamé le remboursement sur trois ans correspondant à la période retenue par la prévention, ne constituent pas un préjudice pour la commune puisqu’elle a bénéficié en contrepartie du service rendu par M E… au titre de son travail, dont l’exécution n’est pas entamée par le fait qu’il l’ait exercé sans en remplir les conditions légales ».
La personne poursuivie doit ainsi être condamnée éventuellement à rembourser les coûts liés à un redressement fiscal ou social, mais en aucun cas à rembourser les honoraires.
C’est ainsi que, par un raisonnement juridique incontestable, le Tribunal judiciaire de COLMAR a rejeté les demandes des parties civiles en ce sens.