Escroquerie sur internet : est-il possible d’assigner en France la Banque étrangère bénéficiaire des virements ?
La Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 2022 a eu à répondre à cette question d’un intérêt pratique non négligeable.
En effet les victimes d’une escroquerie sur Internet (faux placement, faux virement, arnaque au président … ) peuvent assigner en responsabilité leur banque, mais également la banque du bénéficiaire des virements qui n’a pas pris de précautions suffisantes pour empêcher l’opération.
Il existe en effet souvent des mouvements importants et anormaux sur les comptes du bénéficiaire des virements qui doivent conduire les banques à bloquer les opérations dans l’attente d’éclaircissements.
Cependant la banque du bénéficiaire des virements est souvent à l’étranger. Les fonds transitent dans un pays européen, avant d’être envoyés vers un pays plus lointain.
Les avocats de ces banques invoquent régulièrement la compétence des juridictions étrangères, et ce dans le but de décourager les victimes.
Les juridictions françaises avaient un point de vue très divergent sur cette question, et il est particulièrement intéressant que la Cour de cassation mette un terme aux débats, reprenant la position de la Cour de justice de l’union européenne.
Quels étaient les faits du dossier ?
Une société Française avait ordonné plusieurs virements depuis son compte ouvert à PARIS auprès de la SOCIETE GENERALE vers un compte ouvert au Portugal dans les livres de la société BANCO COMMERCIAL PORTUGUES, dont les coordonnées lui avaient été transmises par une personne se faisant passer pour le chef comptable d’une société Française avec lequel elle était en relation d’affaire.
Invoquant des manquements des deux banques à leurs obligations professionnelles, elle les a assignées aux fins de condamnations in solidum à lui payer une indemnité égale au montant détourné.
La BANCO COMMERCIAL PORTUGUES a soulevé l’incompétences des juridictions Françaises. La Cour de cassation a repris la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne avant de statuer elle même sur cette question.
Quel est la position de la Cour de justice des communautés européenne sur cette question ?
S’agissant d’un problème de compétence à l’intérieur de l’union européenne le texte qui régit la matière est l’article 7 paragraphe 2 du règlement Bruxelle I bis
Aux termes de ce texte une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre état membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Selon la Cour de justice de l'union européenne (CJUE, 28 janv. 2015, aff. C-375/13), les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, pour connaître d'une telle action, notamment lorsque ledit dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions.
Toutefois, ce critère ne saurait être, à lui seul, qualifié de « point de rattachement pertinent ». C'est uniquement dans la situation où les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier qu'un tel préjudice pourrait, d'une manière justifiée, permettre au demandeur d'introduire l'action devant cette juridiction (CJUE, 16 juin 2016, aff. C-12/15 ; CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-304/17).
Pour que la compétence des juridictions Française soit retenue il y a donc deux critères à prendre en compte :
- Le lieu de survenance du dommage
- Les liens de rattachement avec la France. Il faut que les autres circonstances particulières de l’affaire ne concourent également par à attribuer la compétence à une juridiction étrangère.
Dans chaque dossier il faut que les juridictions internes étudient ces deux points.
En matière d’escroquerie aux virements quel est le lieu de survenance du dommage pour la Cour de cassation ?
Dans son arrêt du 15 juin 2022 la Cour de cassation précise clairement que le lieu du fait dommageable en matière d’escroquerie au virement est le lieu où le virement a été émis.
Elle suit ainsi la position de la cour de justice de l’union européenne.
Il s’agit d’une réponse simple et de bon sens. En effet il s’agit du lieu où les fonds ont été irrévocablement transférés au bénéfice de l’escroc.
Néanmoins il était important que la Cour de cassation se prononce clairement sur cette question.
Certaines juridictions du fond en effet refusaient d’appliquer la jurisprudence de la Cour de justice de l’union européenne et considérait que le lieu d’exécution du virement était le lieu de survenance du dommage (voir par exemple ordonnance du Tribunal judiciaire de BREST, RG 21/01391 considérant que le lieu d’exécution du virement est uniquement le lieu où est ressenti les conséquences du dommage).
A partir du moment où le lieu de survenance du dommage est retenu, il convient d’examiner les autres circonstances de l’affaire qui potentiellement pourraient donner compétence à une juridiction étrangère.
Est il possible en matière d’escroquerie au virement que les autres circonstances de l’affaire fassent obstacle à la compétence des juridictions Française ?
Cela semble peu probable. En effet toute la phase préalable à l’escroquerie se déroule généralement sur le sol Français, là où réside la victime.
Par ailleurs il s’agit également du lieu où l’enquête pénale est ouverte.
Enfin souvent la victime attrait devant les juridictions sa propre banque, et donc deux des parties concernés sont situés sur le sol Français.
Il est donc peu probable que d’autres circonstances fassent obstacle à la compétence des juridictions Française.