Cass. Soc., 19 mai 2021, n°19-24.412
1/ Aux termes de l’article L. 6321-1 du Code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation de formation et d’adaptation des salariés :
« L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. »
Au visa de ce texte, la Cour de cassation a jugé que « l'obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi relève de l'initiative de l'employeur » (Cass. soc., 18 juin 2014, no 13-14.916 ; Cass. Soc., 9 décembre 2015, n°14-20.377).
Ainsi, il importe peu que le salarié n'ait pas formulé de demande spécifique de formation au cours de l'exécution de son contrat de travail (CA LYON, 13 juin 2018, n°16/04387).
De plus, cette « obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi » s’impose à l’employeur « pendant toute la durée de la relation de travail » (Cass. Soc., 20 septembre 2017, n°16-10.567).
2/ L’arrêt du 19 mai 2021 rappelle l’importance de cette obligation de formation, dans tous les emplois, et pas seulement ceux qui sont le plus soumis à des évolutions.
En l’espèce, un ouvrier agricole a travaillé dans une bananeraie pendant une quinzaine d’année sans bénéficier d’aucune formation. A la rupture de son contrat de travail pour un motif économique, il a sollicité le versement de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation.
L’employeur alléguait que le salarié ne démontrait pas la nécessité d'une adaptation à son poste de travail : aucune évolution technologique, ni aucune évolution des emplois dans son domaine d'activité ne nécessitant, selon lui, une formation utile à l'adaptation à son poste de travail.
Les juges du fond ont donné raison à l’employeur.
Cependant, la Cour de cassation censure ce raisonnement, estimant que les juges ont inversé la charge de la preuve.
En effet, au visa des articles 1315, devenu 1353 du Code civil, et L. 6321-1 du Code du travail, elle considère qu’il appartenait à l’employeur de prouver qu’il avait rempli son obligation de formation :
« 7. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de formation, l'arrêt retient que le salarié, embauché en qualité d'ouvrier agricole pour travailler à l'exploitation d'une bananeraie, n'invoque ni ne démontre la nécessité d'une adaptation à son poste de travail, ne fait état ni d'une évolution technologique, ni d'une évolution des emplois dans son domaine d'activité qui nécessiterait une formation utile à l'adaptation à son poste de travail, étant relevé que sa capacité à occuper un emploi n'est pas affectée par une quelconque évolution des conditions dans lesquelles il exerce son activité.
8. En statuant ainsi, alors que le salarié soutenait qu'il n'avait bénéficié d'aucune formation et que l'obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi relève de l'initiative de l'employeur, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés. »
En d’autres termes, le salarié n’a pas à prouver la nécessité d’une adaptation de son poste. C’est à l’employeur d’exécuter son obligation de formation, peu important que le poste occupé ne soit touché par des transformations technologiques ou par une évolution particulière.
3/ Cette obligation d’adaptation et de maintien dans l’emploi doit être rapprochée de l’obligation de tenir des entretiens professionnels, la seconde permettant la réalisation de la première.
En effet, l'article L. 6315-1 du Code du travail (créé par la loi du 24 novembre 2009) impose à l’employeur d’organiser un entretien professionnel :
- tous les deux ans, l’entretien est consacré aux « perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle. »
- tous les six ans, l’entretien comporte également « état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. […] Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d'apprécier s'il a :
1° Suivi au moins une action de formation ;
2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;
3° Bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle. »
4/ En l’absence de formation prodiguée ou, à tout le moins, proposée au salarié, l’employeur peut engager sa responsabilité. Le salarié devra démontrer l’existence et l’étendue de son préjudice (Cass. Soc., 13 avril 2016, n°14-28.293 ; Cass. Soc., 25 mai 2016, n°14-20.578 ; Cass. Soc., 14 septembre 2016, n°15-21.794 ; Cass. Soc., 1 février 2017, n°15.23.299).
Pour déterminer le montant des dommages et intérêts, les juges tiennent compte des éléments suivants :
- la durée de la relation de travail,
- l’absence ou le faible nombre de formation pendant cette relation de travail,
- l’absence de proposition de formation par l’employeur,
- les difficultés à retrouver un emploi.