Les conditions de la consultation des courriels par l'employeur
Cass. Soc., 3 avril 2019, n°17-20.953
L’arrêt commenté est l’occasion pour la Cour de cassation de préciser et d’ajouter les conditions dans lesquelles l’employeur peut consulter les courriels reçus par le salarié sur sa messagerie électronique professionnelle.
En principe, l’employeur ne peut pas librement consulter tout le contenu de l’ordinateur du salarié. Seuls les dossiers ou fichiers professionnels sont librement accessibles. Les éléments de nature personnelle ne peuvent être consultés qu’en présence du salarié ou si ce dernier a été dûment appelé. Leur consultation n’est donc pas totalement exclue, toutefois le salarié devra être présent. En cas de non-respect de cette précaution, le salarié pourra se prévaloir du droit au respect de la vie privée pour s’opposer à l’utilisation de ces éléments par l’employeur.
Il est donc essentiel de faire la distinction entre les éléments professionnels et personnels. Traditionnellement, la Cour de cassation juge que :
« les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence » (Cass. Soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025).
S’agissant des courriers électroniques, la même solution était retenue :
« les courriers adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels » (Cass. Soc., 15 décembre 2010, n°08-42.486).
En résumé, si un fichier, un dossier ou un courriel est identifié comme personnel, l’employeur ne peut le consulter qu’en présence du salarié ou s’il l’a appelé. Les autres éléments sont librement consultables. En pratique, un fichier classé comme personnel ne doit pas être librement consulté par l’employeur.
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation apporte une précision intéressante.
L’employeur, arguant de la nécessité d’assurer la continuité du service, a consulté la messagerie électronique d’une salariée en arrêt maladie. Il a alors découvert plusieurs courriels envoyés par d’autres salariés et les a utilisés à leur encontre à l’appui de leur licenciement.
Ces salariés contestent l’utilisation de ces courriels par l’employeur.
La Cour d’appel les avait écartés en considérant que le véritable motif de consultation des courriels n’était pas la nécessité d’assurer la continuité du service. La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement.
Elle énonce que les juges du fond auraient dû rechercher « si les courriels litigieux, qui provenaient de la messagerie électronique mise à la disposition des salariés par l'entreprise, avaient un caractère professionnel et si leur contenu relevait ou non de la vie privée des salariés ».
La Cour de cassation impose une double condition à la consultation des courriels hors la présence du salarié :
- que le courriel ait un caractère professionnel,
- que le contenu du courriel ne relève pas de la vie privée du salarié.
La première condition peut être rattachée à sa jurisprudence traditionnelle de présomption du caractère professionnel à défaut de mention expresse du caractère personnel.
En revanche, la seconde condition est inédite à notre connaissance. Le contrôle effectué par les juges devrait donc également porter sur le contenu des courriels. Cela pourrait signifier que, même non expressément identifié comme personnel, un courriel pourrait être soumis à la condition de présence du salarié, si son contenu relève de sa vie privée.
Dans la mesure où le contenu ne peut qu’être découvert à l’ouverture du courriel, il est plus prudent que l’employeur sollicite la présence du salarié dès lors qu’il consulte la messagerie de celui-ci.