Quelle date butoir pour lever une clause de non-concurrence après une rupture conventionnelle ? (Cass.soc. 26 janvier 2022, n°20-15.755)
En bref : Dans cet arrêt, la chambre sociale fixe une limite absolue quant au délai dans lequel l’employeur peut faire usage de sa faculté de renonciation lorsque la cessation du contrat intervient dans le cadre d’une rupture conventionnelle individuelle.
S’il entend renoncer à l’exécution de la clause, il doit le faire au plus tard à la date de la rupture fixée par la convention et ce, même en présence de stipulations ou dispositions contraires.
Rappelons quelques éléments de contexte
(i) Définition
La clause de non-concurrence est une clause inscrite dans le contrat de travail et qui a pour objet d’interdire au salarié, à l’expiration de son contrat de travail, d’exercer certaines activités professionnelles susceptibles de nuire à son ancien employeur.
(ii) Conditions de validité
Une clause de non-concurrence n’est licite que si elle répond à plusieurs conditions cumulatives :
- Être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;
- Être limitée à la fois dans le temps et dans l’espace ;
- Tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié ;
- Comporter l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière.
Si une de ces conditions n’est pas respectée, la clause est nulle et n’est réputée n’avoir jamais existé.
Seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence inscrite dans son contrat de travail (Cass. soc. 25 janvier 2006, n° 04-43.646).
(iii) Renonciation à la clause de non-concurrence
L’employeur peut renoncer à l’application de la clause et libérer le salarié de l’interdiction de concurrence.
Cette possibilité de renonciation doit avoir été expressément prévue par le contrat de travail ou la convention collective applicable à l’entreprise (Cass. soc. 22 février 2006, n° 04-45406). À défaut, l'accord du salarié est nécessaire.
L’employeur doit libérer expressément, clairement et sans équivoque le salarié de son interdiction de concurrence.
En l'absence de précisions contractuelles ou conventionnelles portant sur le moment de la renonciation, celle-ci doit intervenir au moment de la rupture. Plus concrètement :
- S'il s'agit d'un licenciement : au moment du licenciement (Cass. soc. 13 juillet 2010, n° 09-41.626) ;
- S'il s'agit d'une démission : à la date à laquelle l'employeur en a été informé ;
- En cas de prise d’acte de la rupture : à la date à laquelle l'employeur en a été informé.
En cas de dispense de préavis ou d'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle, la renonciation doit intervenir au plus tard le jour du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, peu importe les dispositions contraires du contrat ou de la convention collective (Cass.soc. 21 janvier 2015 n° 13-24.471 ; Cass.soc. 2 mars 2017 n° 15-15.405).
En revanche, l'employeur qui n'a pas dispensé le salarié d'exécuter son préavis peut renoncer à la clause au cours de l'exécution de celui-ci, peu importe que l'intéressé cesse de venir travailler (Cass.soc. 21 mars 2018 n° 16-21.021).
La décision de la Cour de cassation
Dans cette affaire, la convention de rupture conventionnelle conclue entre un employeur et une salariée avait fixé la date de rupture du contrat au 5 mai 2015 mais ne réglait pas le sort de la clause contractuelle de non-concurrence.
La salariée avait alors demandé à l'employeur le versement de la contrepartie financière au motif qu'elle n'avait pas été expressément déliée de l'application de ladite clause.
La clause de non-concurrence, contenue dans le contrat de travail de la salariée, stipulait qu'elle s'appliquait pour une durée d'une année à compter de la rupture effective du contrat de travail et que l'employeur avait la faculté de se libérer de la contrepartie financière de cette clause en renonçant au bénéfice de cette dernière, par décision notifiée au salarié à tout moment durant le préavis, ou dans un délai maximum d'un mois à compter de la fin du préavis (ou, en l'absence de préavis, de la notification du licenciement).
Par courrier du 11 septembre 2015, l'employeur répondait à la salariée l'informant qu'elle avait été libérée de son obligation de non-concurrence au jour de son départ.
La salariée saisissait alors la juridiction prud'homale pour faire reconnaître la levée tardive de la clause et obtenir le paiement de la totalité de la contrepartie financière.
La Cour de cassation accède à sa demande et dégage le principe selon lequel l'employeur qui conclut une rupture conventionnelle avec un salarié et qui souhaite libérer celui-ci de sa clause de non-concurrence doit le faire au plus tard à la date de la rupture fixée dans la convention, même en présence de stipulations ou dispositions contraires.
A ce titre, la chambre sociale mobilise la jurisprudence applicable en matière de rupture avec dispense de préavis ou en cas d'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle précitées pour déterminer la date limite de renonciation s'agissant d'une rupture conventionnelle.
Selon la Cour, cette solution se justifie par le fait que le salarié ne peut être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler.
La Cour de cassation fait ainsi prévaloir la liberté de travailler du salarié, au détriment de la liberté contractuelle.
Concrètement, afin de ne pas laisser le salarié dans l'incertitude, l'employeur doit lever la clause de non-concurrence au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise, ce qui correspond à la date de départ fixée dans la convention. A défaut, il reste tenu de lui verser la contrepartie pécuniaire déterminée.
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