Arrêt de la CJUE du 27 mars 2014 : précisions sur la sanction de la déchéance du droit aux intérêts
La CJUE a eu récemment à se prononcer sur la question de la compatibilité avec le droit de l’Union de l’application de la déchéance des intérêts conventionnels en cas de violation par le prêteur de son obligation précontractuelle de vérification de la solvabilité de l’emprunteur.
Plus précisément la question préjudicielle posée par le Tribunal d’instance d’Orléans était la suivante :
" L’exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives prévue par l’article 23 de la [directive 2008/48], en cas de manquements des prêteurs aux obligations énoncées par la directive, s’oppose-t-elle à l’existence de règles permettant au prêteur, sanctionné de la déchéance de son droit aux intérêts tel que le prévoit la législation française, de bénéficier, après le prononcé de la sanction, d’intérêts exigibles de plein droit à un taux légal, majoré de cinq points deux mois après une décision de justice exécutoire, sur les sommes restant dues par le consommateur? "
La Cour rappelle dans un premier temps que le prêteur est tenu d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur afin de protéger effectivement les consommateurs de tout octroi irresponsable de contrats de crédit, à charge pour les états membres de prévoir des mesures effectives, proportionnées et dissuasives pour sanctionner tout manquement à cette obligation.
La Cour examine donc si la rigueur de la sanction Française est en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe générale de proportionnalité.
La sanction Française en l’espèce est en apparence simple : la déchéance, en principe intégrale du droit aux intérêts du prêteur.
Cependant, cette sanction est à double tranchant : la sanction de la déchéance des intérêts ne porte que sur les interêts conventionnels, de sorte que les prêteurs bénéficient de plein droit des intérêts au taux légal qui, dans la très grande majorité des cas sont, également de plein droit, majorés de cinq points.
Le Tribunal d’instance d’ORLEANS relève que, s’agissant de l’année 2012, le taux des intérêts conventionnels était de 5,6 % alors que les intérêts au taux légal majorés de cinq points s’élèveraient à 5,71 %.
Cette différence est encore plus marquée s’agissant de 2013.
L’application de la sanction est par conséquent susceptible d’apporter un avantage au prêteur.
La Cour de justice préconise une solution au cas par cas. Elle déclare ainsi que, dans le cas où le capital restant est immédiatement exigible en raison de la défaillance de l’emprunteur, la juridiction de renvoi doit comparer les montants que le prêteur aurait perçus dans l’hypothèse où il aurait respecté son obligation d’évaluation précontractuelle avec ceux qu’il percevrait en application de la sanction précitée.
Si la juridiction de renvoi devait constater que l’application de la sanction est susceptible de conférer un bénéfice au prêteur, il en découlerait que le régime de la sanction en cause n’assurerait pas un effet dissuasif.
Par ailleurs, la Cour précise que la sanction en cause ne saurait être considérée comme réellement dissuasive si les montants susceptibles d’être perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction ne sont pas significativement inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier en cas de respect de son obligation.
Si la sanction de la déchéance des intérêts se trouvait affaiblie voire purement et simplement anhihilée, la sanction ne présenterait pas un caractère véritablement dissuasif en violation des dispositions de la Directive 2008/48.
Dans cette hypothèse il appartiendrait à la juridiction saisie d’interprêter les règles de manière à aboutir au résultat recherché.
Cela laisse une marge de manœuvre importante au plaideur, et ouvre la voie à une argumentation interessante.
Par ailleurs, le raisonnement de la CJUE peut être transposé à d’autres cas où la substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux d’intérêt légal s’applique.