Présomption de démission : premières décisions et enseignements pratiques

Deux ans après l’entrée en vigueur de la présomption de démission en cas d’abandon de poste, les premières décisions de justice apportent des éclaircissements importants.
Introduit par la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, ce dispositif fait désormais l’objet d’une application concrète, comme en témoignent deux récentes décisions (CPH de Lyon, 21 février 2025, n°23/02471 ; CA Paris, 6 mars 2025, n°24/02319).
Qu’est-ce que la présomption de démission ?
L’article L. 1237-1-1 du Code du travail prévoit que le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne le reprend pas après avoir été mis en demeure par son employeur de justifier son absence et de reprendre son poste dans un certain délai, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai.
Toutefois, cette présomption peut être écartée si le salarié justifie d’un motif légitime d’absence, empêchant la poursuite de la procédure. L’article R.1237-13 du Code du travail donne une liste non exhaustive de ces motifs : raisons médicales, exercice du droit de grève ou de retrait, refus d’exécuter une instruction contraire à une règlementation, ou encore modification du contrat à l’initiative de l’employeur.
Si l’employeur poursuit la procédure et considère le salarié comme démissionnaire, ce dernier peut saisir le Conseil de prud’hommes, qui statuera directement en bureau de jugement. Le juge pourra alors requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire en licenciement nul, si la rupture est jugée injustifiée.
Les apports de la décision du Conseil de Prud’hommes de Lyon (21 février 2025)
Dans cette affaire, une salariée avait refusé par écrit le transfert de son contrat à une société entrante, suite à la perte d’un marché par son employeur. Ne se présentant plus à son poste, elle reçoit une mise en demeure l’enjoignant de justifier son absence et de reprendre le travail, à défaut de quoi elle serait présumée démissionnaire.
La salariée répond en invoquant son droit au refus du transfert. Malgré cela, l’employeur la considère démissionnaire et l’informe de la fin de son contrat au terme de son préavis.
Le Conseil de prud’hommes de Lyon donne raison à la salariée. Il estime qu’elle pouvait légitimement invoquer la modification de son contrat comme motif d’absence, même si la modification n’était pas juridiquement établie. Les juges sanctionnent ainsi l’employeur de n’avoir pas démontré, avant la rupture du contrat, avoir porté à la connaissance de la salariée les éléments démontrant l’absence d’une modification du contrat de travail.
Le licenciement est ainsi requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette décision souligne que l’invocation crédible d’un motif légitime peut suffire à écarter la présomption de démission, même si le litige sur la modification du contrat n’est pas encore tranché.
Les apports de la décision de la Cour d’Appel de Paris (6 mars 2025)
La seconde affaire concerne un salarié protégé, bénéficiant d’un mandat représentatif.
Pour mémoire, la rupture du contrat d’un salarié protégé nécessite l’autorisation préalable de l’inspection du travail, sauf en cas de rupture à l’initiative du salarié comme la démission. La question était donc de savoir si la présomption de démission permettait de contourner cette protection.
En l’espèce, l’inspection du travail avait refusé deux demandes de licenciement formulées par l’employeur. Face à la persistance de l’absence du salarié, ce dernier engage la procédure de présomption de démission. Une mise en demeure est adressée, à laquelle le salarié répond simplement qu’il ne souhaite pas démissionner.
L’employeur passe outre et considère le salarié comme démissionnaire.
Saisi, le Conseil de prud’hommes de Meaux annule la rupture et ordonne la réintégration du salarié. La Cour d’appel de Paris confirme, en relevant que la rupture, bien qu’habillée en démission, est en réalité imputable à l’employeur, qui n’a pas sollicité l’autorisation administrative requise.
Cette décision met en lumière un point crucial : la présomption de démission ne saurait s’appliquer aux salariés protégés sans autorisation de l’inspection du travail, car la rupture serait alors irrégulière, voire nulle.
Une prudence toujours nécessaire
Ces deux décisions illustrent les limites et zones d’ombre du dispositif. Le régime de la présomption de démission, bien qu’ayant pour objectif de simplifier la gestion des abandons de poste, ne dispense pas l’employeur d’une grande rigueur juridique, notamment :
- En vérifiant l’absence de motif légitime,
- En s’assurant que le salarié n’est pas protégé,
- En respectant scrupuleusement les modalités procédurales.
La position de la Cour de cassation est très attendue, notamment sur la question de savoir à qui imputer la rupture dans le cadre de ce mécanisme.