Responsabilité d’une banque étrangère dans le cadre d’une escroquerie aux faux placements financiers : quel juge compétent pour trancher le litige (T. com., Paris, 21-03-2024, n°2023020178) ?
En matière d’escroquerie aux faux placements financiers, il arrive que la victime engage une action en responsabilité contre les établissements bancaires intervenus dans les opérations de paiement - généralement les banques émettrice et réceptrice des virements frauduleux - pour avoir manqué à leurs obligations professionnelles – généralement des devoirs de surveillance et de vigilance.
Dans ce cas, si la victime est domiciliée en France et que l’une des deux banques est domiciliée sur le territoire d’un autre Etat membre, la question de se posera de savoir lequel du juge français ou du juge étranger sera compétent pour connaître du litige.
Quelles sont les règles applicables pour trancher les litiges portant sur la compétence dans le domaine des escroqueries aux placements financiers ?
Pour l’essentiel de la matière civile et commerciale, c’est le règlement (UE) no 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit « Bruxelles I bis » qui édicte un ensemble de règles permettant de déterminer la compétence du juge pour trancher le litige.
L’article 4 dudit règlement édicte une règle de principe : la juridiction compétente est celle du domicile du défendeur. Mais d’autres options sont également ouvertes au demandeur. Notamment, l’article 7§2 lui permet, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, d’assigner le défendeur devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
L’article 8§1 lui permet, en cas de pluralité de défendeurs, d’assigner devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les cause étaient jugées séparément.
Si le demandeur choisi d’utiliser l’une des options prévues aux articles 7§2 ou 8§1 du règlement Bruxelles I bis, le juge vérifiera d’une part, que les conditions posées par ces articles sont remplies (i), d’autre part, que les objectifs poursuivis par le règlement européen sont respectés. Il s’agit notamment des impératifs de proximité et de prévisibilité. Le considérant 15 du règlement énonce en effet que : « Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement (…) ». Le considérant 16 précise quant à lui que : « Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres for autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un Etat membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. (…) ».
Comment les juridictions françaises appliquent ces règles ?
Plusieurs décisions récentes ont attribué compétence au juge français pour connaître d’une telle action sur le fondement de l’article 8§1 du règlement Bruxelles I bis.
Les juges ont en effet considéré que la connexité des demandes formées à l’encontre des deux banques justifiait d’attribuer la compétence au juge français, en tant que juge du domicile de l’une des banques défenderesses ( https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043200300 )
Ce raisonnement a été repris par plusieurs juridictions du fond dans des affaires similaires, notamment ( CA Paris, 5, 6, 13-12-2023, n°22/16460 ; CA Toulouse, 19-03-2024, n°23/03029 )
Dans le cadre d’un litige portant sur des faits d’escroquerie aux faux placements financiers pour lequel la responsabilité d’une banque française et d’une banque espagnole était recherchée, la SCP DESBOS BAROU a obtenu une décision conforme à la jurisprudence précitée.
Considérant que les demandes formulées à l’encontre des deux banques étaient connexes, le Tribunal a jugé que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître du litige (T. com., Paris, 21-03-2024, n°2023020178).
Une décision favorable aux victimes d’escroquerie financière, qui disposent ainsi d’arguments à faire valoir pour que le contentieux soit soumis à l’examen des juridictions françaises !