Responsabilité délictuelle du fait d’un manquement contractuel : Confirmation de l’absence de nécessité de démontrer une faute délictuelle distincte (CCass. Ass plén. 13 janvier 2020 n° 17-19.963)
En matière civile et commerciale, la responsabilité peut être contractuelle ou bien extra-contractuelle (délictuelle) selon que la faute commise est elle-même contractuelle ou extra-contractuelle.
Une faute dite contractuelle pourra cependant engager la responsabilité délictuelle de son auteur dans certain cas sur le fondement de l’article 1382 du Code civil désormais 1240.
Et pour cause, une telle faute peut causer un dommage à un tiers au contrat.
C’est ainsi qu’il a été jugé par arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 6 octobre 2006 (Cass. Ass. Plén. 6 octobre 2006, n° 05-13.255) que la démonstration d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle n’est pas exigée en raison du principe d’unité des fautes contractuelle et délictuelle.
Certains arrêts postérieurs des différentes chambres sont toutefois venus semer le doute de sorte qu’une réunion de l’Assemblée Plénière était nécessaire.
Le début de cette année 2020 est marqué par un nouvel arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 13 janvier 2020 (Cass. Ass. Plén 13 février 2020, n° 17-19.963) rappelant avec beaucoup de pédagogie le principe en la matière :
« Vu l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1382, devenu 1240, du même code :
12. La Cour de cassation retient depuis longtemps le fondement délictuel ou quasi délictuel de l'action en réparation engagée par le tiers à un contrat contre un des cocontractants lorsqu'une inexécution contractuelle lui a causé un dommage.
13. S'agissant du fait générateur de responsabilité, la Cour, réunie en assemblée plénière, le 6 octobre 2006 (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) a retenu « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
14. Le principe ainsi énoncé était destiné à faciliter l'indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l'inexécution d'obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d'une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui.
15. Jusqu'à une époque récente, cette solution a régulièrement été reprise par les chambres de la Cour, que ce soit dans cette exacte formulation ou dans une formulation très similaire.
16. Toutefois, certains arrêts ont pu être interprétés comme s'éloignant de la solution de l'arrêt du 6 octobre 2006 (3e Civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.692, 07-15.583, Bull. 2008, III, n° 160 ; 1re Civ., 15 décembre 2011, pourvoi n° 10-17.691 ; Com., 18 janvier 2017, pourvois n° 14-18.832, 14-16.442 ; 3e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-11.203, Bull. 2017, III, n° 64), créant des incertitudes quant au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l'indemnisation du dommage qu'il impute à une inexécution contractuelle, incertitudes qu'il appartient à la Cour de lever.
17. Aux termes de l'article 1165 susvisé, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121.
18. Il résulte de ce texte que les contrats, opposables aux tiers, ne peuvent, cependant, leur nuire.
19. Suivant l'article 1382 susvisé, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
20. Le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage.
21. Il importe de ne pas entraver l'indemnisation de ce dommage.
22. Dès lors, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu'il subit n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.
23. Pour rejeter la demande de la société QBE contre la Compagnie thermique, l'arrêt retient que la société Sucrière est une victime par ricochet de l'interruption totale de fourniture de vapeur de la Compagnie thermique à l'usine de Bois rouge qui a cessé de fonctionner, et que, cependant, la faute, la négligence ou l'imprudence de la Compagnie thermique, à l'origine de sa défaillance contractuelle, n'est pas établie.
24. En statuant ainsi, alors que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, la cour d'appel, qui a constaté la défaillance de la Compagnie thermique dans l'exécution de son contrat de fourniture d'énergie à l'usine de Bois rouge pendant quatre semaines et le dommage qui en était résulté pour la société Sucrière, victime de l'arrêt de cette usine, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.
25. En conséquence, elle a violé les textes susvisés ».
L’Assemblée Plénière confirme donc le principe d’unicité des fautes contractuelle et délictuelle.
C’est décision ne peut qu’être saluée dans la mesure où l’exigence de la démonstration d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle conduirait bien souvent à priver les tiers de tout droit à indemnisation alors même que leur préjudice serait réel.
Les autres conditions de la responsabilité délictuelle demeurent en revanche exigées à savoir la démonstration d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute contractuelle et le préjudice subi.