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SCP DESBOS BAROU
Cabinet d'avocats à Lyon

Est-il possible de soulever le caractère abusif du taux contractuel dans les contrats de prêts en devise CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE SAVOIE (2008 et 2020) ? (Cour d’appel de LYON, 31 Janvier 2024, 1er chambre A, RG 20/7057)


Deux contrats de prêts immobiliers ont été souscrits en 2008 et 2010 par Madame X, représentée par le cabinet :

  • Un prêt immobilier n° 00000147754 l’obligeant à rembourser la contrevaleur en francs Suisse de la somme de 196.537 euros outre intérêts conventionnels
  • Un prêt immobilier n°00000362440 l’obligeant à rembourser la contrevaleur en francs Suisse de la somme de 278.059 euros, outre intérêts conventionnels

Ces contrats de prêts sont particulièrement dangereux, notamment si l’emprunteur perd sa source de revenus en francs Suisse.

Madame X ayant perdu son emploi en Suisse n’a plus pu rembourser les échéances de son prêt, ce qui a entraîné la déchéance du terme des contrats de prêt en 2019.

Le franc suisse ayant pris de la valeur par rapport à l’euros, Madame X devait rembourser dix ans après quasiment la même somme que la somme empruntée.

Afin de réduire le montant devant être remboursé il a été notamment soulevé :

  • Le caractère abusif de la clause fixant le taux d’intérêt conventionnel
  • Le caractère abusif de la clause fixant les commissions de change
  • L’irrégularité de la déchéance du terme prononcée et la condamnation de la banque en conséquence à verser des dommages et intérêts se compensant avec la demande de la Banque

Le CREDIT AGRICOLE s’est opposé à ces demandes d’abord par des arguments procéduraux, soulevant d’une part l’irrecevabilité des demandes au regard de leur prétendue caractère nouveau ainsi que de la prescription, puis leur absence de bien fondé.

La Cour d’appel de LYON a statué sur ces différents points, faisant une exacte application de la jurisprudence récente de la Cour de cassation, abondante sur cette problématique.

 

A. Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau des demandes concernant le caractère abusif des clauses en cause d’appel

 

Le CREDIT AGRICOLE a tout d’abord soulevé le caractère nouveau des demandes portant sur les clauses abusives.

Ces demandes n’avaient en effet pas été soulevées en première instance par les précédents avocats.

La Cour de justice des communautés européennes devenue la Cour de justice de l’union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).

Si le juge est tenu d’examiner d’office une clause abusive il doit être considéré que ce point est toujours dans le débat et peut-être soulevé en tout état de cause.

La Cour d’appel de LYON a statué en ce sens, visant un arrêt de la Cour de cassation, 1ere Chambre civile, 2 février 2022, pourvoi n°19-20.640)

« Il s’en déduit que l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel édictées à l’article 564 du code de procédure civile, ne s’oppose pas à l’examen d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet »

Concernant la demande portant sur l’irrégularité de la déchéance du terme la Cour a considéré que la demande indemnitaire ayant expressément pour objet d’opposer la compensation de sa créance avec celle de la Banque demeure recevable quoique nouvelle en cause d’appel.

Les demandes de Mme X ont ainsi pu être examinées.

 

B. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes

 

Les contrats de prêt ayant été signés en 2008 et 2010 le CREDIT AGRICOLE a soulevé la prescription des demandes.

Il soutenait que l’action concernant les clauses abusives était soumise à la prescription quinquennale de l’article L110-4 du code de commerce et se trouvait par conséquent prescrite, le délai ayant commencé à courir dès la souscription des offres de prêts.

La Cour d’appel de LYON a, sans surprise, appliqué la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’action visant à ce qu’une clause alléguée abusive soit réputée non écrite n’est pas soumise à la prescription quinquennale (Cour de cassation, 13 mars 2019, n°17-23169).

Il était du reste étonnant que le CREDIT AGRICOLE soulève encore cet argument, tant la jurisprudence semble désormais établie (voir sur ce point https://www.avocats-desbosbarou.fr/blog/articles/prets-immobiliers-libelles-en-devise-etrangere-il-est-encore-temps-d-agir-cass-1ere-chambre-civile-12-juillet-2023-n-22-17-030 )

Les fins de non-recevoir ayant été écartées la Cour d’appel de LYON a pu statuer sur le fond du dossier, et notamment le caractère abusif des clauses.

 


C. Sur le caractère abusif des clauses.

 

C.1 Sur le caractère abusif des dispositions relatives à la stipulation d’intérêts

 

Les contrats de prêts CREDITS AGRICOLE prévoyaient un taux variable, renvoyant pour le taux de référence au taux CHF à 3 mois. Or il existe plusieurs taux CHF à 3 mois, et l’offre ne permettait pas de déterminer avec précision le taux utilisé.

A partir du moment où l’emprunteur ne peut pas retrouver facilement le taux de référence il ne peut être considéré que le taux contractuel est clair et compréhensible.

La Cour d’appel de LYON a ainsi considéré :

  • que l’ensemble contractuel organisant la stipulation d’intérêt n’est pas clair et compréhensible
  • qu’il crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, dans la mesure où il ne permet pas à l’emprunteur de connaître le taux de révision appliqué à l’intérêt conventionnel de son prêt 

La Cour d’appel de LYON a en conséquence déclaré la stipulation d’intérêt abusive, précisant qu’il convenait de la réputer non écrite.

L’enjeu financier est important. En effet cela a entraîné la substitution du taux conventionnel par le taux légal, avec un remboursement de la différence de coût entre les deux taux au taux de change en vigueur.

 

C.2 Sur le caractère abusif de la clause relative aux commissions de change

 

Les contrats de prêts litigieux disposaient « Toute opération en devises donnera lieu à la perception par le prêteur de la commission de change, selon les barèmes en vigueur au jour de l’opération ».

Cette clause manquait totalement de transparence. En effet il était renvoyé à des barèmes sans que l’emprunteur connaisse ces barèmes, ou qu’un mécanisme soit prévu pour que l’emprunteur ait accès à ces barèmes.

Ce manque de transparence a été sanctionné.

La Cour a relevé :

  • que la clause renvoie à l’application d’un barème dont le contenu à la date de souscription de l’offre n’est ni communiqué, ni accepté par l’emprunteur
  • qu’elle n’organise pas les modalités selon lesquelles l’emprunteur peut être averti des modifications du barème ou avoir accès au barème appliqué lors de chaque opération
  • qu’aucune stipulation ne donne foi aux déclarations de la banque selon lesquelles l’emprunteur pourrait recevoir communication du barème appliqué à chaque opération de change

La clause a ainsi été réputé non écrite et le CREDIT AGRICOLE a été condamné à rembourser toute commission de change appliquée depuis le début du contrat.

 

 

D. Sur la responsabilité de la Banque à raison de la déchéance du terme

 

Les contrats de prêts subordonnaient la déchéance du terme à l’envoi d’une mise en demeure.

Or le CREDIT AGRICOLE ne produisait pas les AR des deux mises en demeure, ni le récépissé d’envoi.

La Cour d’appel de LYON a considéré que le caractère irrégulier de la déchéance du terme entraînait un préjudice moral, qu’il convient de réparer à hauteur de 10.000 €

 

Cette décision est intéressante car elle permet de rappeler les règles procédurales applicables aux demandes portant sur le caractère abusif d’une clause (prescription et demandes nouvelles).

Par ailleurs elle semble fixer un critère intéressant pour déterminer le caractère abusif d’une clause : à partir du moment où la clause ne permet pas de comprendre la portée précise de l’engagement elle doit être déclarée comme abusive.

 

 


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